Evolution du commerce équitable
Aux Etats-Unis, la charité organisée au sein de l’église
Le commerce équitable a beaucoup évolué depuis
ses débuts en 1946 lorsqu’une bénévole du Comité Centrel Mennonite, Edna Ruth
Byler, qui travaillait avec des femmes pauvres de Puerto Rico, ramena chez
elle, à Akron en Pennsylvanie, du linge de maison brodé à la main, le vendit
par l’intermédiaire de son église et décida dans la foulée de fonder ce qui est aujourd'hui Ten Thousand Villages. (1)
Ce qu’on appelle de nos jours "commerce équitable" (2), est donc né aux Etats-Unis,
il y a plus de soixante ans, dans le milieu des églises protestantes.
L'Europe fait elle ses premiers pas une bonne dizaine d’années plus tard. En Angleterre à la fin des années ‘50, Oxfam démarre la distribution d’artisanat de réfugiés chinois à Hong-Kong. Sur le continent, il faut attendre 1959, lorsqu'aux Pays-Bas, l’organisation SOS(3) vend alors des produits en provenance des pays en voie de développement, via des églises et des réseaux tiers-mondistes.
Naissance de la dimension politique
En 1964, lors de la Conférence des Nations Unies
pour le commerce et le développement (CNUCED), des représentants des pays du
Sud prônent une nouvelle conception de l'aide au développement. Il s'agit de
remplacer les aides financières ponctuelles par de réelles politiques
commerciales permettant un accès avantageux pour les pays du Sud aux marchés
des pays du Nord : " Trade, not aid ", devient le mot d’ordre du
commerce équitable.
En avril 1969 s’ouvre à Breukelen, aux Pays-Bas, le premier "Magasin du monde". L'objectif est de vendre des produits artisanaux du tiers monde provenant directement des producteurs (des artisans). Un mouvement européen de commerce équitable se développe presque simultanément, et deux ans plus tard quelque 120 magasins vendent des produits du tiers monde. En Belgique, le premier magasin du monde voit le jour à Anvers en 1971.
L’étape
de la labellisation
En 1986, des paysans du Chiapas, au Mexique,
déjà en contact avec une ONG hollandaise, Solidaridad, expriment
un souhait précis : ils préfèrent être soutenus pour la vente de leur café
plutôt que par des dons. La solution imaginée par l’ONG sera la labellisation
de leur production, qui annonce une toute nouvelle approche et l’essor du
commerce équitable.
En 1988, aux Pays-Bas, le logo Max Havelaar est apposé sur l’emballage des paquets renfermant leur café, torréfié par des sociétés du commerce ‘classique’. Celles-ci ont décidé de respecter les règles d’échange définies par Max Havelaar. Le logo indique au consommateur que les principes du commerce équitable ont été adoptés par la marque vendue sous ce label. Grâce à ce système, ces produits entrent pour la première fois dans la grande distribution et sortent de la confidentialité. En quelques mois, les ventes de café équitable atteignent, aux Pays Bas, 2% des ventes totales de café.
D'autres pays s'engagent dans cette voie : soit en utilisant le label Max Havelaar, soit en créant leur propre label, Transfair et Fairtrade. Parallèlement, de nouveaux produits alimentaires (thé, sucre, cacao et chocolat, miel et bananes) bénéficient des labels du commerce équitable.
Les années ’90 ou la dimension européenne et internationale
Bien que le
commerce équitable renvoie à des réalités propres à chaque pays, le partage
d'une conception identique du développement et de l'économie mondiale facilite
la réalisation d'actions communes.
En 1989, IFAT (aujourd’hui WFTO), l’organisation internationale du commerce équitable voit le jour. Certains importateurs européens se regroupent, eux, en 1990 au sein d’EFTA (European Fair Trade Association). En 1994, 15 réseaux de magasins du monde lancent NEWS! (Network of European World Shops). Et en 1997, c’est au tour des organisations de labellisation « équitable » de regrouper leurs forces, par la création de FLO (Fairtrade Labelling Organizations International), aujourd’hui Fairtrade International.
1997, l’ouverture aux plantations
En 1997, l’ouverture de la certification équitable aux plantations de thé
provoque une fracture au sein du mouvement du commerce équitable. « Pour
la première fois, des normes équitables étaient développées pour des
producteurs privés dépendant de travailleurs salariés – une différence marquée avec les organisations démocratiques de petits producteurs qui étaient
jusqu’alors l’emblème du mouvement équitable. » (4)
Les productions certifiées de cacao, de café, de riz… restent réservées aux organisations de petits producteurs, mais des filières comme le thé, le vin, les bananes, les fleurs et les ballons de sport sont ouvertes aux entreprises privées dépendant de main-d’œuvre salariée.
La référence au développement durable
De nos jours, le commerce équitable s’inscrit
dans le développement durable. Il ne s’oppose pas à la mondialisation de
l’économie (ce qui serait difficile puisqu’il est lui-même une forme de
commerce international), mais prône plutôt une autre mondialisation, qui prend
en compte la croissance économique, mais aussi le progrès social et le respect de l’environnement.
La 3ème vague, les boutiques indépendantes
Après des ONG comme Oxfam, après le label Max
Havelaar qui permet aux grandes marques de développer des produits
équitables « en marge » de leurs produits habituels, les années 2005,
2006 ont connu, en Belgique, une troisième évolution : de plus en plus de
jeunes ou moins jeunes entrepreneurs lancent une activité commerciale à 100%
orientée vers la vente de produits équitables. Que ce soit dans des domaines
spécialisés comme le textile (Satya), le vin (Vino Mundo) ou via la création de
boutiques dédiées (Tout l’Or du Monde, Ozfair). Malheureusement, bon nombre de
ces indépendants n’ont pas survécu à la crise économique apparue après
2008.
Le développement des marques de distributeurs (Private Labels)
Dans les années 2000, encouragées, intéressées par les
taux de croissance des ventes de produits équitables, de grandes enseignes
développent leur propre gamme et leurs propres marques de distributeur (MDD). Deux
exemples : Carrefour distribue des produits équitables sous sa propre
marque Solidair et Lidl via Fairglobe.
Le label des petits producteurs
« Nous avions besoin de nous différencier en tant que petits producteurs qui défendent les valeurs originelles du commerce équitable : coopération, gouvernance démocratique, appui à l’agriculture paysanne… », explique Jéronimo Pruijn, directeur exécutif de Fundeppo (Fondation des petits producteurs organisés). (5)
Les produits équitables
d’agriculteurs belges, européens
La crise du
lait de 2009 relance l’idée du commerce équitable en Belgique et dans les autres
pays européens. Fairbel propose du lait équitable en grandes
surfaces.
Depuis, d’autres
produits de l’agriculture paysanne du Nord sont venus garnir les rayons: sirop
de Liège, confiture de groseilles à maquereau, tapenades grecques, pâtes anti
mafia d’Italie, bière wallonne… distribués notamment par Ethiquable et
Oxfam-Magasins du monde.
Les labels Fairtrade /
Max Havelaar se multiplient, les critiques aussi
Les tenants
du « tout ce qui peut être équitable dans un produit doit l’être », dont toutes
les tablettes de chocolat contiennent aujourd’hui du cacao et du sucre (voir
d’autres produits) certifiés Fairtrade, se considèrent comme concurrencés de
manière assez inéquitable par les marques des géants de la distribution et de
l’agroalimentaire. Ils reprochent à Fairtrade International d’avoir taillé les
nouveaux labels sur mesure pour les multinationales.
A suivre...
A suivre...
Samuel Poos
(1) Carol Wills, le commerce équitable : qu’est-ce que c’est, in Du commerce
ou, mais différemment, succès & défis du commerce équitable, FINE,
Bruxelles, octobre 2006.
(2) L’expression, utilisée pour la première fois en février 1985 par Michael
Barratt Brown, fut rapidement adoptée par le mouvement commercial alternatif à
travers le monde.
(3) Qui deviendra SOS Wereldhandel puis Fair Trade Organisatie, avant de s’appeler
aujourd’hui Fair Trade Original.
(4) Eric St-Pierre, Le tour du monde
équitable, des femmes et des hommes qui sèment l’espoir, Editions de
l’Homme, 2010.
(5) Philippe Chibani-Jacquot, La liste des labels
équitables s'allonge, Novethic, mars 2012.
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