Un constat préoccupant
Ces dernières années, les études attestant que les producteurs de cacao de Côte
d’Ivoire vivent dans la misère s’accumulent :
0,86 euros, environ 1 dollar par jour, c’est ce qu’ils gagnent selon
Barry-Callebaut et l’Agence française de développement.
Des revenus qui les maintiennent en dessous du seuil de pauvreté,
avec pour corollaire, pour s’en sortir : le travail d’enfants et une
déforestation galopante (la productivité des terres défrichées requérant moins
de main d’œuvre les premières années).
Fait troublant : que les producteurs soient certifiés équitable ou
durable ne change pas grand-chose aux revenus qu’ils perçoivent. Fairtrade
International et True price indiquent que seuls 42% des producteurs certifiés
Fairtrade gagnent plus que le seuil d’extrême pauvreté
et que seuls 23 % gagnent plus que le seuil de pauvreté.
Selon la même étude, à rendements identiques, le prix du cacao devrait se
situer autour de 4,72 dollars/kg pour que 80% des producteurs dépassent le
seuil de pauvreté.
Il est donc urgent que Fairtrade International développe de vastes programmes
d'augmentation de la productivité et relève son prix minimum garanti qui n’est
pour l’instant que de 2 dollars par kilo de cacao, auquel est ajouté une prime
de développement de 0,2 dollar/kg.
Les auteurs du baromètre cacao 2018 en sont eux aussi convaincus : « Le
prix minimum du commerce équitable est probablement beaucoup trop bas pour que
les agriculteurs puissent échapper à la pauvreté»[7]. Ce qui pose au passage la question de la
manière dont ce prix minimum, en vigueur depuis plusieurs années, a été
calculé. D’autant que l’on a fait croire jusqu’à présent aux consommateurs que
le prix équitable permettait de couvrir les coûts de production et d’assurer des
conditions de vie décentes.
Pour être de bon compte, il faut préciser que la compétition entre les
systèmes de certification est féroce sur ce marché du cacao, et ne tourne pas à l’avantage de la
certification Fairtrade. Les grandes entreprises privilégient les
certifications UTZ ou Rainforest Alliance qui, elles, ne fixent pas de prix
minimum garanti aux producteurs. En 2017, un peu moins de 1,5 millions de
tonnes,
soit 1/3 du cacao produit dans le monde étaient certifiées UTZ. Problème
supplémentaire : 66% du cacao certifié Fairtrade ne se vendent pas sous
les conditions du commerce équitable en raison du manque de débouchés. En
Belgique, seul 1% du chocolat vendu est équitable.
Mais cet échec (77% des producteurs certifiés Fairtrade ne dépassant pas
le seuil de pauvreté) a aussi d’autres explications. Selon BASIC, qui a comparé
des filières cacao en Côte d’Ivoire et au Pérou : « Le commerce
équitable du cacao semble avoir peu d'impacts significatifs lorsqu'il est
intégré dans des chaînes de valeur standardisées de production de masse (ceci
est encore plus flagrant dans le cas des certifications durables) »[9], ce qui est le cas en Côte d’Ivoire.
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Producteurs de cacao en Côte d'Ivoire © TDC |
Quelques pistes pour renforcer l’équité
Pour être réellement bénéfique aux producteurs, pour être une réelle
force de changement, les filières équitables doivent s’attaquer à divers
chantiers, de manière concomitante :
- Prioriser
l’organisation de filières d’approvisionnement alternatives à celles des grands
groupes, en valorisant la qualité via une politique différentiée de prix bord
champs en fonction des variétés (criollo, mercedes,
forastero) et des grades (1 ou 2)
du cacao. En Côte d’Ivoire, il est tout à fait possible de sortir de la
« commodification » qui permet de maintenir les prix bas, et de
développer des cacaos de spécialité, d’origine. Un exemple parmi d’autres :
la coopérative SCEB produit du cacao biologique de qualité supérieure, vendu à Ethiquable
pour en faire du chocolat certifié « label des petits producteurs ».
L’institut de recherche Südwind a d’ailleurs remarqué que la qualité du cacao avait augmenté ces dernières années en Côte d’Ivoire, ce qui semble avoir poussé
certains industriels allemands à acheter plus de cacao au Nigéria, où la
qualité est moins bonne et où les prix peuvent être maintenus aux faibles
niveaux actuels.
- Renforcer
les coopératives, notamment dans la gouvernance, les services aux membres, la
commercialisation et la gestion financière. Appuyer la structuration d’unions de coopératives pour faire entendre la voix des producteurs et tenter de rééquilibrer les rapports de force avec les acheteurs.
- Promouvoir
un revenu minimum vital pour les différents intervenants de la filière, au
premier rang desquels les cacaoculteurs. Fairtrade International et True Price
viennent d’évaluer ce revenu à 2.51 dollars
par jour et par personne en Côte d’Ivoire. Pour
se rapprocher de ce revenu minimum vital, Belvas, une chocolaterie belge connue
pour ses chocolats bio et Fairtrade, a lancé, en octobre 2018, une nouvelle
gamme de chocolat en provenance de Côte d’Ivoire.
2,4 dollars (dont 1,2 dollar de prime) par kilo sont versés à la coopérative de
producteurs. Impayable pour le consommateur ? La prime ne représente pour
lui que 10 centimes par tablette de 180g.
- Travailler
d’urgence à augmenter les rendements peu élevés (435 kg/ha)[15]et
promouvoir la diversification des cultures.
- Lutter
contre la déforestation (la Côte d’Ivoire a, depuis 1960, perdu 13 millions
d’hectares, soit 80% de couverture forestière) pour préserver la biodiversité,
limiter ses effets sur la pluviométrie, les rendements et donc, à terme, son
impact à la baisse sur les revenus. Une
chocolat équitable ne devrait être produit qu’avec du cacao cultivé selon les
principes de l’agroforesterie.
- Il faut
également oser le dire : augmenter la taille des fermes parfois trop
petites pour être rentables. Pour être rentables, les fermes de Côte d’Ivoire devraient
avoir au minimum entre 2 et 3 hectares, avec des rendements de 750 kg/sec/ha
- Pour augmenter
la valeur ajoutée dans le pays d’origine, le commerce équitable pourrait aussi
encourager la transformation locale du cacao. Les coopératives pourraient être amenées
à « remonter la chaîne » de valeur pour être impliquées dans la
transformation de produits semi-finis comme la masse et le beurre. Par
ailleurs, même si l’échelle reste fort limitée, saluons les initiatives
d’entrepreneurs locaux qui viennent d’aller jusqu’au produit fini et de lancer
leurs marques de chocolats en Côte d’Ivoire et au Ghana, mais aussi dans
d’autres pays africains.
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Séchage du cacao en Côte d'Ivoire © TDC |
Des plateformes nationales réunissant pouvoirs
publics, industriels du cacao et du chocolat, détaillants, ONG et instituts de
recherches sont aussi de bons outils opérationnels pour contribuer à un secteur
du cacao/chocolat plus durable, à une plus grande traçabilité des filières et à
de meilleurs revenus pour les producteurs. Il en existe en Allemagne, en Suisse
et aux Pays-Bas.
Toutefois, les dynamiques complexes et
l’importance des enjeux font que, pour rendre les filières réellement plus
durables, les initiatives volontaires telles le commerce équitable ne sont pas
suffisantes. Dans les pays d’origine, elles doivent s’appuyer sur des
législations destinées à garantir des prix rémunérateurs aux producteurs, à
faire respecter les conventions de l’Organisation internationale du travail et
à endiguer la déforestation… Dans les pays consommateurs, comme cela s’est fait
en France, des législations rendant les entreprises responsables juridiquement
des impacts de leurs activités tout le long de leur chaîne de production et
d’approvisionnement sont à faire émerger.
Samuel Poos
Cette note n’engage que la
responsabilité de son auteur. Elle ne représente pas forcément l’opinion
d’Enabel (l’Agence belge de Développement) ou celle de la Coopération belge au
Développement.