mardi 26 novembre 2013

El Guabo : la banane équitable d'Equateur

En 1997, une quinzaine de petits producteurs de bananes décident de s'unir pour se renforcer et contrer les manœuvres des intermédiaires qui profitaient jusqu'alors de leur désunion pour leur imposer des prix très bas. Ensemble, ils fondent la coopérative El Guabo.

Pendant des décennies, des années 1920 aux années 1950, le secteur de la production bananière était dominé par les multinationales états-uniennes (dont United Fruit, qui fut rebaptisée Chiquita depuis) qui contrôlaient l'ensemble des filières de production et de commercialisation en Amérique centrale et qui se sont rendues tristement célèbres pour leur soutien aux  régimes militaires et aux milices armées qui réprimaient dans la violence les moindres velléités sociales. A partir des années 1950, elles s'implantent en Equateur et développent un nouveau modèle économique en se consacrant exclusivement à la commercialisation et en achetant leur production à des planteurs indépendants.

Le secteur de la banane en Equateur connaît alors un développement d'autant plus rapide que la production cacaotière est en crise, frappé par des maladies fongiques virulentes. Le climat de la côte pacifique du sud du pays est idéal pour les bananeraies qui bénéficient en outre de terres particulièrement fertiles. Cette croissance brutale de la production bananière atteint des niveaux tels qu'elle bouleverse le paysage démographique du pays et provoque, entre 1950 et 1970, le triplement de la population sur les zones côtières du pays(1).
Mais bien que la production demeure entre les mains des producteurs indépendants, les contraintes qu'imposent les multinationales qui contrôlent la commercialisation de la banane provoquent une lente mais certaine déstructuration du secteur. Remplacement des variétés traditionnelles par des espèces au rendement plus important, pressions sur la qualité, les prix et les volumes,… les exigences des grandes compagnies nord-américaines poussent les grands propriétaires à s'unir pour créer d'immenses exploitations qui emploient des dizaines de milliers de travailleurs à des conditions inhumaines (2).
C'est ainsi qu'en quelques années, l'Equateur est devenu le premier producteur mondial de bananes.

La révolte des petits
Incapables de s'organiser en structures de taille suffisante ou d'investir dans les techniques de traitement et de conditionnement exigées par les grands acheteurs, les petits producteurs sont exclus de ce vaste mouvement de croissance. Sous peine de venir grossir les rangs des manœuvres qui peinent dans les grandes plantations comme des esclaves, ils n'ont d'autre choix que de vendre leurs productions à bas prix à des intermédiaires peu scrupuleux qui leur achètent pour le compte des grands planteurs (3).
Confrontés à ces pressions commerciales et aux fluctuations brutales des prix sur les marchés, les petits producteurs voient alors leurs conditions de vie se dégrader douloureusement et leur avenir s'assombrir.
C'est dans ce contexte difficile qu'en 1997, une quinzaine de petits planteurs décident de s'unir pour se renforcer et contrer les manœuvres des intermédiaires qui profitaient jusqu'alors de leur désunion pour leur imposer des prix très bas. Ensemble, ils fondent la coopérative El Guabo (Asociación de Pequeños Productores de Bananos) et s'engagent dans la certification de leur production, qu'ils obtiennent un an plus tard, en 1998 (Fairtrade).
"Il y a quelques années, les petits producteurs étaient dépendants des intermédiaires à qui ils vendaient leur production, parfois à des prix vraiment bas, mais ils n'avaient pas le choix, le système est ainsi fait en Equateur. Les quelques producteurs qui ont fondé El Guabo avaient changé de région pour être libres de créer leur propre association. Aujourd'hui grâce au commerce équitable, tous les producteurs d'El Guabo sont aussi des exportateurs ! ". (Anibal Cabrera, producteur de bananes) (4)

Success story à la banane
Aujourd'hui, El Guabo fait véritablement figure de héraut de l'agriculture équitable équatorienne. La coopérative, qui rassemble une vingtaine de groupements locaux et près de 500 producteurs, fait vivre directement ou indirectement plus de 2200 familles (5).  Elle est devenue le premier exportateur équatorien de bananes équitables. Depuis sa création, l'organisation a multiplié les choix stratégiques judicieux en développant un modèle économique et social performant, fondé notamment sur des investissements productifs importants et la maîtrise des flux de production-commercialisation. La coopérative assure en effet l'essentiel des activités mutualisables au profit des planteurs, depuis le contrôle-qualité des plantations jusqu'à la collecte et à l'acheminement des régimes de bananes vers les centres de tri qu’elle gère également. Les activités d'export (y compris la logistique) sont assurées par AgroFair, une société spécialisée créée conjointement par El Guabo et ses partenaires européens du commerce équitable (6) (Solidaridad, CTM, Twin, Triodos).
L'influence de l'organisation bananière dépasse largement le cercle des opérateurs du commerce équitable. En effet, celle-ci est devenue un acteur important du combat mené en faveur de la reconnaissance des droits sociaux des travailleurs sur les grandes plantations. Elle est en outre souvent amenée à représenter les petits producteurs auprès des décideurs politiques et des organisations internationales. 

En route vers la double certification
Le développement rapide de la monoculture intensive de la banane a des conséquences néfastes sur l'environnement et la biodiversité. Pour répondre aux demandes des multinationales, les paysans utilisent des grandes quantités d'engrais chimiques pour maintenir la fertilité des sols jusqu'au jour où ceux-ci finissent par s'épuiser. Les grandes compagnies résilient alors leurs contrats et partent exploiter d'autres planteurs en laissant derrière elles des terres dévastées et des familles ruinées.
Pour mettre fin à cette spirale de la déchéance, les responsables d'El Guabo encouragent depuis des années les petits producteurs à se convertir à l'agriculture biologique et à s'approprier ces techniques respectueuses de l'environnement (et de la santé des paysans). La coopérative bananière s'est donc engagée dans cette direction en intégrant des communautés de planteurs des versants andins (500 à 800 mètres d'altitude) qui pratiquent une agriculture plus diversifiée et plus traditionnelle que dans la plaine. La coopérative les accompagne alors dans la mise en place de programmes de transition organique et soutient l'échange de savoirs et de techniques entre les différentes communautés de producteurs.
Aujourd'hui, une partie des bananeraies de la coopérative est labellisée biologique et un programme plus large est en cours de réalisation pour la certification du plus grand nombre.

Des conditions de vie et de travail bien meilleures
La quasi-totalité de la production de la coopérative est exportée sur le marché du commerce équitable, aux Etats-Unis et en Europe, ce qui permet aux producteurs de bénéficier de prix plus élevés que ceux pratiqués sur le marché mondial, auxquels s'ajoutent les primes de développement équitable. Pour les bananes qui, en plus sont certifiées biologiques, le prix d'achat est d'environ 15% à 20% supérieur (7).

"Alors que mes employés sont payés 50 $ environ par semaine pour 4 jours de travail, d’autres exploitants ne payent en général que 30 ou 35 $ pour 6 jours de travail... De plus, bien que la loi oblige les employeurs à affilier leurs salariés à une sécurité sociale, cela n’est pas toujours respecté. Avec le commerce équitable et le contrôle de Flo-Fairtrade, ce droit des travailleurs est respecté"  (Teofil, producteur de bananes) (8)

Les primes de développement sont gérées à travers le "Programme d’Amélioration Sociale et Environnementale" (PROMESA) par une équipe qui prépare les projets à financer avant qu'ils soient soumis pour validation à l'assemblée générale qui réunit les planteurs et les travailleurs de la coopérative. La liste des actions et des dispositifs d'ores et déjà mis en place pour favoriser le bien-être des paysans, des ouvriers et de leurs familles est éloquente et souligne l'importance que la coopérative accorde aux questions sociales. Ainsi, l'ensemble des travailleurs employés sur les plantations et dans les sites de transformation et de conditionnement bénéficient a minima de la couverture légale réglementaire et reçoivent en outre des paniers alimentaires ainsi qu'un soutien financier pour l'éducation de leurs enfants. 
Une part importante de ces ressources versées par les acheteurs du commerce équitable est utilisée pour soutenir des initiatives collectives en matière d'éducation (construction d'une école pour les enfants handicapés, attribution de bourses scolaires, financement de garderies et achat de matériel pédagogique) et de santé (création d'une clinique, programmes de vaccination infantile, achat de sérums antipoison, etc.) (9).
Dans un secteur encore marqué par des pratiques souvent condamnables, El Guabo s'illustre à la fois par la qualité de sa production et par son combat en faveur des droits des paysans et de leurs familles.
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Extrait de la brochure du Trade for Development Centre "Le commerce équitable et durable en Equateur", téléchargeable gratuitement sur le site Web du Trade for Development Centre.

(1) Source : Ethiquable 
(2) Source : Oxfam-Magasins du Monde - 30 septembre 2010 - www.oxfammagasinsdumonde.be/2010/09/el-guabo
(3) Source : Idem.
(4) Source : Alter Eco - www.altereco.com/fr/les-producteurs_coop_63_el-guabo.html
(5) Source : Alter Eco - www.altereco.com/fr/les-producteurs_coop_63_el-guabo.html
(6) Source : Oxfam-Magasins du Monde - 30 septembre 2010 - www.oxfammagasinsdumonde.be/2010/09/el-guabo
(7) Source : Asso Equilibre, "EL GUABO : des “bananes équitables” en Equateur" - www.asso-equilibre.org/article.php3?id_article=102
(8) Source : Asso Equilibre, "EL GUABO : des “bananes équitables” en Equateur" - www.asso-equilibre.org/article.php3?id_article=102
(9) Source : Fair Trade Community -www.fairtradecommunity.com/index.php?option=com_content&view=article&id=...
Photo : producteur de bananes d’El Guabo - Crédit : TransFair e.V. 

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