jeudi 27 septembre 2012

Femmes actrices du commerce équitable : Jambi Kiwa - Equateur

Héritage de l'Histoire, en Equateur, les questions de genre se mêlent aux questions ethniques. Sur les quelque 12,5 millions d’Équatoriens, plus de trois millions et demi sont des indigènes, qui se répartissent en onze ethnies, la principale étant l’ethnie quichua qui vit dans la région andine et en Amazonie. Aux inégalités hommes-femmes s'ajoutent des clivages ethniques et sociaux qui font qu'aujourd'hui, la situation des femmes blanches d'origine hispanique vivant en milieu urbain a peu à voir avec celles des femmes autochtones des zones les plus rurales du pays.  

Si les premières ont tiré profit des avancées majeures qui ont été intégrées à la nouvelle constitution adoptée en 2008, c'est beaucoup moins vrai pour les descendantes des premiers peuples du continent, ainsi que l'explique Rosa Rodríguez, spécialiste équatorienne des questions de développement et de genre : "Les femmes ont gagné des espaces de plus en plus importants pour créer des conditions d’égalité et développer une pleine participation à la vie économique, politique, sociale et culturelle du pays en construisant leur citoyenneté". Mais cette avancée ne concerne pas encore la majorité des femmes autochtones du pays, estime-t-elle en ajoutant : "C’est un processus permanent d’exclusion; la situation des femmes indigènes a été marquée par une double discrimination, ethnique et sexuelle. C’est pourquoi les progrès dans la participation publique ne concernent pas encore la majorité des femmes".1
Gardiennes des savoirs et des traditions ancestrales, les femmes indigènes en Equateur, comme celles d'origine africaine, commencent pourtant à s'exprimer, à s'organiser et à revendiquer leurs droits au sein de sociétés caractérisées par des cultures patriarcales et machistes. Longtemps, ces progrès ont été limités par la pauvreté et la misère mais, aujourd'hui, à la faveur de la croissance et du développement du pays, les questions de genre, de citoyenneté et d'égalité sont de plus en plus prises en compte.
 

Les années de lutte

Pendant des siècles, la colonisation espagnole a privé les Indiens des Andes de leurs terres, les a condamnés au servage et au travail forcé dans les haciendas détenues et gérées par les grands propriétaires fonciers. Dans la région du Chimborazo où vivent les Indiens Puruha, ce système a perduré jusqu'au XXème siècle et résisté à toute tentative de réforme. Les indigènes y vivaient une sorte d'apartheid qui les excluait des principaux services publics (en particulier les écoles) et les traitait comme des êtres inférieurs. Il faudra attendre les années 1960 et l'engagement historique de l'évêque de Riobamba Monseigneur Proaño aux côtés des populations autochtones pour que s'engage un premier mouvement d'émancipation. Les communautés indiennes s'organisent et revendiquent leurs droits sur les terres où elles vivent. Ce n'est que dans les années 1990, après des décennies de luttes et de violences sociales, que ces demandes aboutissent et qu'une partie de ce patrimoine leur est restituée.


Vies de femmes

Les populations indigènes du Chimborazo ont récupéré certaines de leurs terres mais la pauvreté et la pression démographique et foncière sont telles que la plupart des hommes en âge de travailler quittent la région et vont dans les villes ou les grandes exploitations. Ils partent généralement après les labours et ne reviennent au village qu'au moment de la récolte. En leur absence, ce sont les femmes qui s'occupent des terres et des quelques animaux (cochons, moutons, etc.) qui les font vivre.
C'est dans ce contexte qu'est née en 1999 l'association Jambi Kiwa avec pour objectif la création d'activités économiques nouvelles susceptibles d'enrayer la pauvreté endémique qui frappe ces familles, de réduire l'exode rural et de permettre à ces femmes de contribuer de manière sensible aux ressources de leurs communautés en valorisant leurs savoir-faire ancestraux.2
Très vite, l'association de femmes s'engage dans la production et la commercialisation de plantes médicinales et d'herbes aromatiques. Activité traditionnelle des femmes indigènes, la culture de ces végétaux aux nombreuses vertus exige peu d'investissement (un petit jardin irrigué avec l'eau de consommation) et des travaux d'entretien relativement modestes pour celles qui en connaissent les secrets et se les transmettent de génération en génération.  

Des marchés des Andes aux boutiques équitables

Durant les premières années, les femmes de l'association vendent leurs mélanges savants (composés de plusieurs dizaines de plantes médicinales) sur les marchés des villages puis auprès des citadins équatoriens qui les apprécient énormément. Forte de ses succès sur les marchés locaux, l'association décide d'améliorer et d'accroitre sa production. Les plantes (dont un grand nombre sont propres à la flore andine) sont associées entre elles et cultivées en terrasses sans aucune utilisation de produits chimiques. Le terreau est enrichi par des composts faits de résidus organiques mélangés au fumier des volailles et du petit bétail. Des vers de terre (élevés dans des casiers adaptés) transforment ce compost en un humus de qualité.
L'initiative remporte un grand succès et, pour gérer cette croissance, l'association (qui compte alors près de 400 femmes) acquiert un bâtiment, avec l'aide du diocèse de Riobamba, où sont installés un séchoir et des hachoirs adéquats. L'organisation passe ainsi d'un mode de production artisanal à une petite industrie de fabrication de tisanes et de mélanges d'herbes destinés aux marchés locaux mais aussi aux boutiques de Quito, la capitale.
En 2004, la production atteint les 10 tonnes de plantes séchées. Une nouvelle unité de transformation est alors construite et équipée de séchoirs plus performants et de hachoirs plus modernes. C'est à ce moment-là que l'Association obtient la certification du commerce équitable (Fairtrade) et commence à exporter sa production.

 


 


Mieux vivre avec le commerce équitable

Le développement des activités de Jambi Kiwa a eu un impact significatif sur la qualité de vie des femmes du Chimborazo et de leurs communautés. La vente de ces herbes médicinales, aromatiques et condimentaires a ainsi accru les ressources des familles de manière significative et l'intégration de la filière sur le territoire a généré la création d'emplois nouveaux sur les sites de traitement et de conditionnement. Inspirée par le dynamisme de ses membres, la coopérative (qui a obtenu la certification biologique BCS Oko) s'est appropriée de nouvelles compétences en particulier en matière d'agriculture biologique et de conseil aux productrices. En plus des programmes d'alphabétisation, des formations leur sont ainsi proposées en matière de rotation des plantations, de cultures associées, de fertilisation naturelle, de conservation des sols ou bien encore d'agroforesterie.
Partagés entre les femmes productrices, les nouveaux revenus générés ont par ailleurs contribué à réduire les migrations et à favoriser le maintien des familles sur leurs terres. Aujourd'hui, l'association compte près de 650 femmes et ses produits sont exportés en Europe, au Canada et aux Etats-Unis. Une nouvelle dynamique s'est ainsi mise en place qui a permis de favoriser la création d'infrastructures, l'ouverture d'écoles et d'équipements communautaires. Tout cela, grâce aux femmes et à leurs savoirs.

En savoir plus : www.jambikiwa.net

Texte : Dan Azria - Phenyx43, Florence Neyrinck. Cet article est extrait de la brochure "Les femmes, actrices du commerce équitable" publiée par le Trade for Development Centre et téléchargeable gratuitement sur


1Source : Kintto Lucas, "Equateur - La longue marche des femmes indigènes" - www.alterinfos.org
2Source : www.ethiquable.coop

Crédit photo : Presidencia de la República del Ecuador

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