Héritage de l'Histoire, en Equateur, les
questions de genre se mêlent aux questions ethniques. Sur les quelque 12,5
millions d’Équatoriens, plus de trois millions et demi sont des indigènes, qui
se répartissent en onze ethnies, la principale étant l’ethnie quichua qui vit
dans la région andine et en Amazonie. Aux inégalités hommes-femmes s'ajoutent
des clivages ethniques et sociaux qui font qu'aujourd'hui, la situation des
femmes blanches d'origine hispanique vivant en milieu urbain a peu à voir avec
celles des femmes autochtones des zones les plus rurales du pays.
Si les premières ont tiré profit des avancées majeures qui ont été intégrées à
la nouvelle constitution adoptée en 2008, c'est beaucoup moins vrai pour les
descendantes des premiers peuples du continent, ainsi que l'explique Rosa
Rodríguez, spécialiste équatorienne des questions de développement et de genre
: "Les femmes ont gagné des espaces de plus en plus importants pour
créer des conditions d’égalité et développer une pleine participation à la vie
économique, politique, sociale et culturelle du pays en construisant leur
citoyenneté". Mais cette avancée ne concerne pas encore la majorité
des femmes autochtones du pays, estime-t-elle en ajoutant : "C’est un
processus permanent d’exclusion; la situation des femmes indigènes a été
marquée par une double discrimination, ethnique et sexuelle. C’est pourquoi les
progrès dans la participation publique ne concernent pas encore la majorité des
femmes".1
Gardiennes des savoirs et des
traditions ancestrales, les femmes indigènes en Equateur, comme celles
d'origine africaine, commencent pourtant à s'exprimer, à s'organiser et à
revendiquer leurs droits au sein de sociétés caractérisées par des cultures
patriarcales et machistes. Longtemps, ces progrès ont été limités par la
pauvreté et la misère mais, aujourd'hui, à la faveur de la croissance et du
développement du pays, les questions de genre, de citoyenneté et d'égalité sont
de plus en plus prises en compte.
Les années de lutte
Pendant des siècles, la colonisation espagnole a privé
les Indiens des Andes de leurs terres, les a condamnés au servage et au travail
forcé dans les haciendas détenues et gérées par les grands propriétaires
fonciers. Dans la région du Chimborazo où vivent les Indiens Puruha, ce système
a perduré jusqu'au XXème siècle et résisté à toute tentative de réforme. Les
indigènes y vivaient une sorte d'apartheid qui les excluait des principaux
services publics (en particulier les écoles) et les traitait comme des êtres
inférieurs. Il faudra attendre les années 1960 et l'engagement historique de
l'évêque de Riobamba Monseigneur Proaño aux côtés des populations autochtones
pour que s'engage un premier mouvement d'émancipation. Les communautés
indiennes s'organisent et revendiquent leurs droits sur les terres où elles
vivent. Ce n'est que dans les années 1990, après des décennies de luttes et de
violences sociales, que ces demandes aboutissent et qu'une partie de ce
patrimoine leur est restituée.
Vies de femmes
Les populations indigènes du Chimborazo ont récupéré
certaines de leurs terres mais la pauvreté et la pression démographique et
foncière sont telles que la plupart des hommes en âge de travailler quittent la
région et vont dans les villes ou les grandes exploitations. Ils partent
généralement après les labours et ne reviennent au village qu'au moment de la
récolte. En leur absence, ce sont les femmes qui s'occupent des terres et des
quelques animaux (cochons, moutons, etc.) qui les font vivre.
C'est dans ce contexte qu'est née en 1999 l'association
Jambi Kiwa avec pour objectif la création d'activités économiques nouvelles
susceptibles d'enrayer la pauvreté endémique qui frappe ces familles, de
réduire l'exode rural et de permettre à ces femmes de contribuer de manière
sensible aux ressources de leurs communautés en valorisant leurs savoir-faire
ancestraux.2
Très vite, l'association de femmes s'engage dans la
production et la commercialisation de plantes médicinales et d'herbes
aromatiques. Activité traditionnelle des femmes indigènes, la culture de ces
végétaux aux nombreuses vertus exige peu d'investissement (un petit jardin
irrigué avec l'eau de consommation) et des travaux d'entretien relativement
modestes pour celles qui en connaissent les secrets et se les transmettent de
génération en génération.
Des marchés des Andes aux boutiques équitables
Durant les premières années, les femmes de l'association
vendent leurs mélanges savants (composés de plusieurs dizaines de plantes médicinales) sur
les marchés des villages puis auprès des citadins équatoriens qui les
apprécient énormément. Forte de ses succès sur les marchés locaux,
l'association décide d'améliorer et d'accroitre sa production. Les plantes
(dont un grand nombre sont propres à la flore andine) sont associées entre
elles et cultivées en terrasses sans aucune utilisation de produits chimiques.
Le terreau est enrichi par des composts faits de résidus organiques mélangés au
fumier des volailles et du petit bétail. Des vers de terre (élevés dans des
casiers adaptés) transforment ce compost en un humus de qualité.
L'initiative
remporte un grand succès et, pour gérer cette croissance, l'association (qui
compte alors près de 400 femmes) acquiert un bâtiment, avec l'aide du diocèse
de Riobamba, où sont installés un séchoir et des hachoirs adéquats.
L'organisation passe ainsi d'un mode de production artisanal à une petite
industrie de fabrication de tisanes et de mélanges d'herbes destinés aux
marchés locaux mais aussi aux boutiques de Quito, la capitale.
En
2004, la production atteint les 10 tonnes de plantes séchées. Une nouvelle
unité de transformation est alors construite et équipée de séchoirs plus
performants et de hachoirs plus modernes. C'est à ce moment-là que
l'Association obtient la certification du commerce équitable (Fairtrade) et
commence à exporter sa production.
Mieux vivre avec le commerce équitable
Partagés entre les femmes productrices, les nouveaux
revenus générés ont par ailleurs contribué à réduire les migrations et à
favoriser le maintien des familles sur leurs terres. Aujourd'hui, l'association
compte près de 650 femmes et ses produits sont exportés en Europe, au Canada et
aux Etats-Unis. Une nouvelle dynamique s'est ainsi mise en place qui a permis
de favoriser la création d'infrastructures, l'ouverture d'écoles et
d'équipements communautaires. Tout cela, grâce aux femmes et à leurs savoirs.
En savoir plus : www.jambikiwa.net
Texte : Dan Azria - Phenyx43, Florence Neyrinck. Cet article est extrait de la brochure "Les
femmes, actrices du commerce équitable" publiée par le Trade for
Development Centre et téléchargeable gratuitement sur
1Source : Kintto Lucas, "Equateur - La longue marche des femmes indigènes" - www.alterinfos.org
Crédit photo : Presidencia de la República del Ecuador
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