jeudi 6 septembre 2012

Café équitable, bio, casher et halal

Tout à fait surprenante, l’histoire de la coopérative Mirembe Kawomera trouve ses racines dans l’histoire religieuse particulière de l’Ouganda. Au début du XXème siècle, alors que les missionnaires protestants britanniques s’engagent dans de vastes mouvements de conversion des populations locales, un chef de guerre charismatique de la ville de Mbalé, allié des Anglais, nommé Semei Kakungulu, reçoit en 1919 une bible des mains d’un missionnaire.

L’histoire raconte qu’à la lecture du livre saint, Kakungulu, qui s’était engagé depuis son enfance aux cotés des colonisateurs britanniques dans l’espoir de devenir Vice-roi du Buganda, finit par conclure qu’il se trouvait bien plus en accord avec les enseignements de l’Ancien Testament qu’avec le Nouveau. « Dans ce cas, lui aurait répondu un missionnaire, vous n’êtes pas chrétien, vous êtes juif ».
Semei Kakungulu, délaissé par ailleurs par les occupants britanniques qui commencent à le trouver encombrant, décide de se déclarer juif et se convertit ainsi que ses trois mille sujets et leurs familles. Pendant plusieurs années, la nouvelle communauté s’efforce de suivre les prescriptions de la Thora sans avoir de contact avec le Peuple d’Israël. Ce n’est qu’en 1926 que Semei Kakungulu rencontre pour la première fois un commerçant juif à Kampala qui lui enseigne les rites et les pratiques réellement en usage.

Cette communauté, qui s’est réfugiée dans la région d’Abayudaya, constitue l’unique cas d’apparition endogène d’une communauté religieuse juive dans l’histoire. Elle survivra à la mort de son chef historique mais connaitra des périodes très difficiles, en particulier pendant le régime tyrannique d’Idi Amin Dada qui la persécuta dans le sang, contraignant un grand nombre de ses membres à se convertir à l’Islam ou au christianisme. En 1979, ils ne sont plus que trois cents, mais avec l’aide de l’Etat d’Israël (qui a quand même eu un peu de mal à reconnaître cette communauté tout à fait unique) et de la diaspora juive mondiale, la communauté renaît et obtient sa reconnaissance religieuse et l’appui de rabbins israéliens et américains.


TROIS COMMUNAUTES, UN PROJET

Au début des années 2000, Joab Jonadav Keki, le leader de la communauté juive de la région de Mbalé, par ailleurs fermier et musicien, décide d’aller à pied frapper aux portes de tous les producteurs de la région, quelle que soit leur appartenance religieuse, pour trouver ensemble une solution à la crise qui frappe le secteur du café depuis plusieurs années.

Cette crise mondiale de la surproduction a profondément affecté les niveaux de vie des producteurs ougandais, dont certains ont même dû vendre les terres qu’ils cultivaient depuis des décennies ou retirer leurs enfants des écoles pour les faire travailler dans les plantations. « Notre plus sérieux problème est religieux », disait Joab Jonadav Keki 5 qui soulignait les vives tensions qui régnaient entre les communautés, en particulier depuis la période Idi Amin Dada durant laquelle les juifs étaient honnis, brimés et publiquement traités de « tueurs de Christ » par les chrétiens et d’ « oubliés de Dieu » par les musulmans. Les discours d’ouverture et de tolérance de Joab Jonadav Keki finissent par porter leurs fruits et en 2002, il est élu au Conseil du Sous-Comté de Namanyonyi avec le soutien des trois communautés religieuses qui le reconnaissent comme leader crédible. 

Puis en 2004, aux termes de longues réflexions collectives, la coopérative Mirembe Kawomera (qui signifie « Délicieuse Paix » en Luganda, l’une des langues ougandaises) est créée avec pour objectifs de rapprocher les communautés et de contribuer à leur développement. « Nous avons longtemps réfléchi, raconte Joab Jonadav Keki, en nous concentrant surtout sur ce qui nous rapprochait. Nous avons cherché tous ces points communs dans nos livres saints. Par exemple, nous avons reconnu le fait que nous saluons tous avec le mot « Paix » : Shalom, Salaam, Mirembé. »

« J’achète tout, je veux l’histoire toute entière » 

Une fois ces valeurs communes reconnues et acceptées, il a fallu bâtir un projet économique et trouver de nouveaux marchés. Pour ce faire, la nouvelle coopérative a reçu de nombreux appuis, notamment celui de la chanteuse américaine, Laura Wetzler, qui s’intéresse à la musique traditionnelle hébraïco-africaine.

Avec son aide, la coopérative Mirembé Kawomera a obtenu le soutien du Directeur exécutif de la Thanksgiving Coffee Company, Paul Katzeff, qui s’est engagé à acheter la production de la coopérative à un prix supérieur de 30 % environ aux prix du marché et à l’accompagner dans ses démarches de certification. « J’achète tout », dira Paul Katzeff, « Tout ou rien, Je veux l’histoire toute entière. Je veux apporter cette histoire au monde ». 

La coopérative Mirembé Kawomera, qui rassemble aujourd’hui près de 1000 petits producteurs et leurs familles, fait elle-même partie de la coopérative plus importante Gumutindo. Les trois grandes communautés religieuses sont représentées au Conseil Exécutif : l’actuel président est juif, le vice-président est chrétien et le trésorier est musulman.

« Nous espérons maintenant faire de notre coopérative un modèle pour les projets de développement entre les communautés », explique Joab Jonadav Keki.
Il ajoute : « nous espérons que d’autres coopératives s’engageront vers ce modèle de coexistence pacifique. Ensemble, nous vivons beaucoup mieux. Vous n’imaginez pas l’harmonie et la paix qui règne maintenant dans notre grande communauté depuis que la coopérative a été créée».

Les caféiers cultivés par ces paysans poussent sur les flancs du Mont Elgon, un volcan éteint situé à l’est de l’Ouganda, près de la frontière avec le Kenya voisin. Le café, une variété d’arabica doux, est certifié équitable, bio, casher et halal. 

Bien que relativement peu importante en quantité (environ 50 tonnes), la production de la coopérative Mirembé Kawomera est reconnue pour sa qualité, sa douceur et sa saveur. Grâce à ces certifications équitable (Fairtrade Certified) et biologique, la vente du café de la coopérative rapporte non seulement de quoi rémunérer les producteurs à un niveau plus décent mais elle permet à la coopérative de réinvestir une partiede ses recettes dans des projets de développement sociaux et économiques, dans la formation des cultivateurs et la mise en place de projets durables. La certification équitable garantit en outre aux producteurs un accès au crédit et le paiement d’une partie de leur production avant la récolte. 

Ainsi, ces dernières années, les membres de la coopérative ont fondé ensemble une communauté dynamique et mis en place toute une série d’actions concrètes en faveur des fermiers et de leurs familles, telles que la construction d’écoles, le développement de l’accès à l’eau potable et à l’électricité dans les villages.


Texte de Dan Azria. Extrait de la brochure du Trade for Development Centre : "Le commerce équitable et durable en Ouganda" téléchargeable gratuitement sur www.befair.berubrique "publications"

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